Mémoires des Monts de Champagne

Manifestations à venir

Exposition sur l'année 1914

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Compte-rendu d’une communication faite le 22 Septembre 1984


L’OCCUPATION DE PONTFAVERGER EN 1914
par Monsieur JEAN-MARIE BOURDETTE


Devant les Sociétés savantes de la Marne

1914 : Après la bataille sur l’Aisne et la prise de Rethel, les troupes allemandes gagnent Juniville, La Neuville en Tourne à Fuy et se dirigent vers Pontfaverger, mais un ilot de résistance les arrête et les contraint à une manœuvre d’encerclement, à l’est, par Hauviné et Bétheniville, à l’ouest, par Saint-Masmes et Selles. Elles rejoignent celles qui, au centre, par le Mont d’Aussonce et la ferme de Merlan, ont, le 2 septembre, investi Pontfaverger.

Le jeudi 3 septembre, elles font route vers les Monts de Champagne, où elles resteront accrochées pendant près de quatre ans, quatre ans pendant lesquels elles occupent Pontfaverger dont les habitants, pour certains, ont déjà pris la fuite fin août, mouvement de panique suivi le 1er septembre, par les autres qui, à pied ou par tout autre moyen de déplacement possible, emportant le maximum d’objets partent vers le vignoble, Châlons, Epernay ou Reims.

Ces fugitifs tardifs seront bientôt rejoints par les troupes allemandes et rentreront au pays, méthodiquement envahi à partir du 12 septembre avant de passer sous administration allemande, laquelle, établit très vite une gestion civile du village pour s’occuper des affaires courantes des habitants et assurer la liaison avec l’armée d’occupation.

Un maire est nommé d’office. Monsieur Henrot, ce « maire imposé », comme il se désigne lui-même, va, devant l’ampleur de la tâche, se constituer une équipe de conseillers qui se mettra au travail dès le début novembre.

En 1911, à la veille de la guerre, le village comptait 1651 habitants, mais en 1914, avec le retour des fugitifs, la présence d’environ 80 réfugiés, surtout ardennais, d’une part et la mobilisation de 150 soldats d’autre part, la population était de 803 habitants. C’est beaucoup trop au gré du commandant de la place ; considérant les difficultés de ravitaillement, la gêne pour ses troupes et la dangereuse proximité du front, il organise des départs via Bazancourt et Rethel vers le nord de l’Aisne et jusque dans la vallée de la Meuse.
Et la vie reprend donc.

Dès leur arrivée, les Allemands occupent fermes et maisons vacantes pour les officiers, les troupes, les chevaux et le matériel (1500 soldats en moyenne cantonneront à Pontfaverger). Mairie et écoles sont réservées au Bureau de la Place. L’usine de la Providence devient un « Lazaret » (hôpital) pour grands blessés, avec une annexe sévèrement isolée pour les contagieux malades du typhus, d’autre « infirmeries » pour blessés plus légers occuperont les locaux scolaires, un centre de repos sera aménagé dans une ferme isolée à l’écart du village.

Dès les premiers jours également, pour recenser les civils et débusquer d’éventuels soldats français cachés, la population doit répondre à l’appel matin et soir sur la place, puis, bientôt, les hommes seulement et, dès octobre, uniquement le dimanche. Les hommes valides sont astreints au travail obligatoire : corvées pour tous les travaux de voierie, la collecte du lait, la récolte du fourrage et des betteraves, corvées de bois… Les femmes sont employées aux lessives dans la rivière ou sont de service dans les « Lazarets ».
Se posera bien vite le problème de l’alimentation quotidienne à la solution duquel s’attacheront et l’équipe communale ainsi que, dans un souci humanitaire de coopération, les autorités allemandes.

M. Himonet, boulanger, dans la « boulangerie municipale » installée chez lui, fabriquera du pain à partir de farine un peu grossière obtenue dans une meunerie artisanale concassant le blé récolté dans les champs des propriétaires absents. A l’épuisement des provisions, en décembre, les Allemands pourvoiront aux besoins en farine, mais les habitants, sans être vraiment rationnés, seront invités à ménager leur consommation.
Pour ce qui est de la viande, malgré les réquisitions et les pillages, il reste un peu de bétail, des vaches et des chevaux, mais on n’abattra que les bêtes accidentées et saines. Les lapins de garenne pullulent dans la région et les habitants élèvent leurs volailles. Par mesure de sécurité, la Kommandantur fera détruire et vendre les pigeons domestiques.

En ce qui concerne le lait, en raison des réquisitions, les vaches sont moins nombreuses, moins bien nourries (le fourrage, la paille sont pour les chevaux de l’armée), et les « Lazarets » consomment beaucoup de lait, et si les Allemands ont réuni à la ferme de Milan un assez beau troupeau, le lait en est réservé pour les blessés.
Les propriétaires essaient d’en garder un peu malgré les contrôles pour faire du beurre. A ces difficultés s’ajoute une épidémie de fièvre aphteuse.

Touchant enfin les produits d’épicerie, la « boulangerie municipale » fonctionne au début comme une sorte de « coopérative » où l’on regroupe les denrées récupérées dans le village ou fournies par l’intendance allemande. Par la suite, deux dépôts seront confiés à des habitants et ils y entreposeront les marchandises en provenance du centre local de l’intendance allemande au Chatelet-sur-Retourne.

Les pires difficultés vinrent cependant de la question d’argent. Avec le paiement des salaires, des denrées et des amendes, la caisse municipale était vide. Pour l’alimenter, on vendit les biens périssables des absents, on recueillit des dons, mais cela ne suffit pas ; sans grand succès, on sollicita des emprunts auprès des particuliers contre des bons payables après la guerre ! En décembre, on va fabriquer un papier-monnaie, des bons échangeables contre de l’argent, mais bien vite, la monnaie diminuant, l’échange ne sera plus garanti et ces bons ne seront plus agréés qu’à la boulangerie et à l’épicerie. Les maires du secteur se joignent à tous ceux des Ardennes pour solliciter du Président de la république une avance de 3 à 4 millions. Les Etats-Unis proposent de fournir gratuitement du blé, mais il faudrait payer le transport depuis New-York !..
On se préoccupe des enfants d’âge scolaire, désœuvrés, dont le vagabondage inquiète le Commandant de la Place. Une classe est ouverte dans la succursale vacante des « Comptoirs Français ». Garçons et Filles pourront en alternance, y acquérir les rudiments essentiels.

Les civils malades ou blessés ne sont pas négligés. Le médecin français, le Dr. Dresh, étant mobilisé, ce sont les médecins allemands des Lazarets qui leur assureront le plus souvent gratuitement les soins nécessaires. Ce sont eux également qui effectueront les accouchements et constateront les décès.
La cohabitation entre civils et militaires n’alla évidemment pas sans incidents. Certains habitants supporteront difficilement appels, contrôles, amendes, limitation de la circulation entre villages, des incidents se produisirent et quelques récalcitrants furent arrêtés pour insultes, menaces et autres délits. Il est néanmoins permis d’affirmer que les autorités locales et allemandes œuvrèrent de concert pour que l’occupation de Pontfaverger en 1914 se déroulât selon un « modus vivendi » de bon aloi.

 

 

Résumé par Jean-Marie Néchal

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