Mémoires des Monts de Champagne

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Exposition sur l'année 1914

Detail


HEUTREGIVILLE

1. Heutrégiville avant la guerre

• Les origines
Le compte Hulderic (Nom d’origine Germanique) possédait un domaine agricole non loin de la voie romaine Reims-Trèves à l’époque Gallo-romaine.
Ces domaines étaient souvent attribués par les autorités militaires pour services rendus à l’Empire Romain : Huldrici- villa changea plusieurs fois de nom pour devenir « Heutrégiville »
Huldéric le catholique céda ce domaine à Saint Rémy, évêque de Reims, et donc jusqu'à la révolution, Heutrégiville resta principalement sous la tutelle du Chapitre de Reims .
Au 11ème siècle fut bâtie une première église sur un promontoire Les fonds baptismaux que l’on peut encore admirer aujourd’hui datent de cette époque
Vers 1275 Il fut construit une nouvelle église de style gothique dit rural, c'est-à-dire simplifié.

 Pas de grands faits historiques, mais comme partout les invasions, la fronde, et la révolution, façonnèrent l’histoire du village.

• La vie en 1900
Madame Pierrard, institutrice, nous décrit avec précision la vie du village en 1888 ;
On lit que la commune possède 75 chevaux, 135 vaches, 3 bœufs et 1 chèvre, 84 ruches, mais surtout 700 moutons…
On cultive le froment, le seigle les lentilles.
La luzerne, le trèfle et le sainfoin constituent les jachères qui sont en fait des prairies artificielles.
Au milieu du 19ème siècle les terres les plus éloignées n’étaient pas cultivées depuis une cinquantaine d’années. Elles s’étaient transformées en savart, prairies sèches et broussailleuses ou paissaient les troupeaux de moutons. L’éloignement, le morcellement dû à la division des parcelles lors des successions, les progrès de l’agriculture, le manque de fumier firent que seules les parcelles les plus fertiles situées près du village étaient cultivées. Une famille de Boult sur Suippe (Saint Denis ?), se mit à acheter ces parcelles d’une manière peu commune : Ils proposèrent aux propriétaires de payer les arriérés d’impôts qui n’étaient plus perçus depuis des décennies contre l’acquisition de ces terres. Ainsi ces parcelles furent plantées de pins noirs et de pins sylvestres. Les autres propriétaires suivirent.
Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que ces terres furent défrichées et remises en culture. Les bois restants aujourd’hui sont les témoins de cette époque.

Le moulin à eau monté à cylindres sert à approvisionner la boulangerie des environs. Ce moulin avec une roue de 6 mètres de diamètre venait d’être reconstruit suite à l’incendie du précédent en 1885.

« Grande exploitation de sapins propres à la boulangerie et pour les houillères du nord et de la Belgique. Carrières de craie à bâtir et de grève pour la construction. L’industrie lainière occupe à domicile environ quatre vingt métiers à tisser à la main … La filature de Saint-Masmes occupe près de vingt ouvriers…. »

Les métiers à tisser modernes se développaient à Reims et Warmeriville, et à cette époque Heutrégiville perdait déjà des habitants qui partaient travailler en usine.
En 1793 le village comptait 430 habitants. Le maximum, environ 800 est atteint vers 1860. 60 habitants vivaient à la filature de Saint- Masmes, située alors sur le terroir d’Heutrégiville. En 1911 il y en avait encore 502 .
Le recensement de 1902 (source: Archives dép de la Marne) indique que 15 personnes exercent le métier du commerce dont 4 épiciers, 2 boulangers, 1 buraliste, 2 négociants en vins….
La ligne de chemin de fer Bazancourt- Challerange, ouverte en 1872 permettait de rejoindre Reims rapidement. A l’époque six trains montants et six trains descendants s’arrêtaient chaque jour en gare d’ Heutrégiville.

Les maisons du village étaient en général très modestes. Elles étaient faites de carreaux de terre et recouvertes de tuiles courbes (ou cuisseaux car elles étaient moulées sur la cuisse du tuilier) Ces tuiles non fixées sur la toiture demandaient des pentes faibles .
Les tisseurs à domicile vivaient dans de petites maisons avec 1 pièce au rez de chaussée et une autre au dessus .Il en existe encore une 40 rue des Mais. Ces maisons étaient regroupées en courées

Il y avait quelques maisons plus cossues, couvertes d’ardoises (exemple la maison a l’angle de la grand rue et de la rue de la Suippe) Il faut citer la maison de la famille Marteau, manufacturiers à Reims . Albert Marteau fut adjoint au maire de Reims au milieu du 19eme siècle.

Anecdote :
En 1834 une simple histoire de porte dans le cimetière divisa le village en deux camps : D’un coté celui du curé du village, de l’autre celui du maire. Le préfet et les autorités religieuses durent intervenir : Le curé changea de paroisse, le Maire démissionna, ainsi que son beau père l’instituteur et une douzaine de villageois furent condamnés dont certains à quelques jours de prison….(Source : note Historique de l’abbé Chevalier 1906)

2. Les Allemands à Heutrégiville

• Résumé des cahiers d’Abel Jot
Fin aout 1914, de nombreux réfugiés Belges et Ardennais traversent le village.
Dimanche 30 aout, de nombreux blessés passent, entassés dans des charrettes.
Les allemands envahissent le village le 31. Les habitants qui ont évacué vers Reims la veille sont rattrapés par les Allemands qui leurs conseillent de revenir à Heutrégiville. Le 10 septembre leurs troupes sont repoussées de Reims, et Heutrégiville va rester sous occupation Allemande jusqu'à la fin de la guerre.
En avril 1915, une centaine d’habitants sont évacués et gagnent la France libre en passant par l’Allemagne et la Suisse
Vers le 15 octobre 1915, les cloches de l’église se mirent à tinter malgré l’interdiction : Les soldats courent aux armes. Le lendemain le battant de la cloche est démonté. Le curé est expulsé du village. La cloche est enlevée en 1917 pour être fondue en Allemagne.
Le maire du village habitant Vaudetré est remplacé d’office par Monsieur Boucher- Chevallier. Les habitants ne peuvent quitter le village sans autorisation, ils ont peu de liberté et doivent se plier aux ordres de l’envahisseur
120 habitants sont évacués vers la France libre. Ils passent par l’Allemagne et la Suisse. En mars 1917, une centaine d’habitants sont déportés vers Avançon pour y travailler et en mai le village est complètement évacué. Le village reste vide plus d’une année et les Allemands finissent par le détruire en dynamitant ou brulant les habitations, les arbres fruitiers sont sciés, et l’église est dynamitée en octobre 1918

• Quelques témoignages 
Les ouvrages, tranchées et campements sont nombreux. Les terres agricoles qui sont à la vue des avions Français, restent relativement épargnées et sont cultivées. Les bois par contre accueillent de nombreux campements et aussi des constructions réalisées avec des blocs de bétons préfabriqués sur place. Il y a aussi des campements d’été, des campements d’hiver et des zones de bivouac.
Un réseau de tranchées relie ces campements et les villages environnants.
Des abris profonds de 7 à 8 mètres y sont creusés
Une voie de chemin de fer étroite longe la route d’Aussonce. Elle est protégée ainsi que la route par des masques aériens destinés à occulter la vue
En effet, les français pouvaient observer, grâce à des ballons dirigeables (les « saucisses ») et pointer leurs canons sur ces convois quand ils étaient à leur portée. Les villages d’Heutrégiville et Saint Masmes étaient à portée des canons Français, par contre les cantonnements route d’Aussonce ne l’étaient plus.
Un petit cimetière doté d’un monument se situait sur les terres à gauche de la borne départementale. Les corps des soldats furent transférés dans le cimetière d’Aussonce. Un autre cimetière situé près du « Lazaret » fut transféré à Warmeriville, le monument en béton est encore visible aujourd’hui
Une dynamo est installée au moulin pour l’éclairage des maisons où logent les officiers.
Vers la fin de la guerre, un gros canon ferroviaire, le Max Lange, tira une cinquantaine de fois vers Chalons sur Marne
Les officiers allemands, issus généralement de la noblesse, n’avaient aucun égard envers leurs soldats : Pierre Pétré raconte à son fils François comment des soldats fautifs souffraient, attachés 24 heures en croix sur des roues de charrettes, et comment, lors de marches les retardataires recevaient des coups de fouet.
Les grandes caves du marchand de vin Richard (photo page 2) abritaient des chevaux. Un tir de l’artillerie Française provoqua leur effondrement et les chevaux furent ensevelis.
Charles Bailly, âgé de 13 ans reste au village parmi les Allemands et apprend vite leur langue. Il a raconté comment il allait pêcher dans la Suippe avec eux, à l’aide de grenades. Cela ne plaisait pas à ses parents qui le réprimandaient.
A 16 ans, Charles fut déporté avec Pierre Pétré (4 ans de plus que lui) à Petit Saint Rémi (Saint Rémi le petit) pour y abattre des sapins. Ceux-ci étaient utilisés comme bois de tranchées, ou transformés en charbon de bois pour le chauffage des combattants. (pas de fumée) Source : entretien avec François Pétré.
Mme Bourgeois raconte à sa fille comment elle devait laver le linge très souillé de l’hôpital (Lazaret) au baquet, car elle n’avait pas le droit d’accéder à la rivière, pourtant très proche.

Ponton sur la Suippe

La belle d’ Heutrégiville Caves effondrées et église en arrière plan

3. La fin de la guerre et le retour des habitants

• Résumé des cahiers d’Abel Jot
Le 11 novembre 1918, l’armistice est signé. A Heutrégiville il n’y a plus de cloches pour le fêter. Le village n’est plus qu’un amas de ruines, seules quelques maisons subsistent. Les obus et grenades gisent ça et là, constituant un réel danger pour les habitants et la remise en terre des cultures…la cuve des fonds baptismaux en pierre noire sculptée (la plus ancienne du département) est rapatriée des Ardennes car elle avait été enlevée par les Allemands. Les Saints retirés de l’église, sauvés de la destruction par un soldat, sont rangés dans une cave ajourée d’une maison détruite en face de l’église. Seule la Vierge apparait et semble contempler les ruines du sanctuaire détruit.

Peu à peu la population rentre au village, s’abritant ou elle peut, en attendant les baraquements en bois courant été 1919.Une chapelle provisoire, construite par des prisonniers sur la place est inaugurée en avril 1920. C’est aujourd’hui la salle municipale.
Les sinistrés de la commune se groupent en coopérative de reconstruction qui débute en 1921, après les travaux de déblaiement. On commence par reconstruire les granges puis les habitations. L’église est reconstruite en 1925-26 et inaugurée en été 1926. Les fonds baptismaux et les statues retrouvées dans la cave sont réinstallés dans cette église. Abel Jot conclut en rappelant que le village était bien délabré avant guerre et que les coquettes habitations, les voies de communications élargies, le chemin de fer restauré contribuent à une amélioration matérielle et morale de la vie.

• Autres témoignages
Charles Puissant raconte :
« Mon père, artilleur, combattant en Italie et à Verdun a été envoyé par l’armée à Heutrégiville pour cultiver les terres, grâce a l’aide des chevaux de la cavalerie. C’est là qu’il a rencontré ma mère. Marié, il est resté au village. Les Italiens sont venus nombreux pour reconstruire, il y avait 7 bistrots »
Beaucoup de ces maçons ont continué leur activité après la reconstruction et se sont mariés ici.
Cette guerre qui fit tant de victimes, qui fut la cause de tant de destructions, permit malgré tout de belles rencontres …

 

Le recensement de 1911 compte 502 habitants, celui de 1921, 327, soit 175 habitants de moins dont 48 victimes civiles et 15 militaires.

 

 

Les enfants d’Heutrégiville morts pour la France sont :

Marcel Vanschor
Florian Chevallier
Louis Cahouzart
Eugène Rogé
Louis De Joncière
Camille Chapeau
Auguste Godet
Joseph Hache
Gaston Lefèvre
Lucien Paradis
Auguste Pâté
Louis Pâté
Henri Pocquat
Ernest Ponsart
Louis Vigno

Philippe Bailly

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